VIS ! RUSE !
Il serait extrêmement présomptueux de commencer à tirer les leçons d’une crise alors que celle-ci vient à peine de commencer. Toutefois, l’assignation à résidence que je subis comme tant d’autres me fournit assez de temps pour méditer sur cette pandémie.
Ce virus, parlons-en : voici une des formes les plus primitives du vivant (pas de cerveau, pas de compte en banque, pas de place dans l’avion, zéro followers) engagée dans une lutte avec l’organisation humaine la plus sophistiquée que l’histoire ait jamais produite : la forme la plus extrême de l’hyper-capitalisme. Et ce bras de fer, c’est pour le moment le virus qui le gagne : récession, économies à genoux, bourses qui dévissent. Très drôle : le virus survit, dit-on, plusieurs heures ou plusieurs jours sur la monnaie et les billets de banque. Tout ce temps pour réaliser que l’argent pouvait aussi être toxique.
Nos labos de recherches ont créé des chimères, inventé des molécules, expérimenté sur l’animal, tripatouillé des organismes génétiquement modifiés. On lance « des efforts de guerre » sans précédent depuis la lutte contre le nazisme. C’est l’occasion de rappeler qu’un virus, à l’instar de la plus petite des bactéries ou du plus chétif des microbes, c’est du vivant. Le vivant n’a que foutre de nos organisations sophistiquées. La nature expérimente par essais et erreurs, se réplique et se reproduit, c’est même ce qu’elle fait de plus abouti depuis l’apparition de la vie sur Terre. D’ailleurs, c’est probablement une passerelle entre l’animal sauvage et l’homme qui est à l’origine de ce virus. La leçon est claire, pas besoin de métaphore : l’homme bouffeur de planète est ogre de nature. Il absorbe le vivant, le dévore; il l’ingère dans son alimentation, il l’intègre dans son organisme. Le virus vient à point nommé nous rappeler que nous sommes aussi et avant tout du matériel génétique et la nature n’a cure de savoir si nous avons une carte bleue et si nous avons loué un appart à l’autre bout de la planète. Mieux, la première structure mondialisée, bien avant l’avènement de la globalisation, c’est le vivant lui-même.
Le livre de l’Exode décrit ce qu’on appelé les « plaies d’Égypte » (au nombre de sept ou dix, ne pinaillons pas). Après les méga-feux, les cyclones et autres tornades, les inondations catastrophiques, aujourd’hui une épidémie planétaire, faut avouer qu’on n’a pas été si mauvais dans le remake 2.0 de l’apocalypse... Aussi, en ces temps amers, prenons le temps de célébrer la somptueuse indifférence de la nature : ma chatte se roule dans l’herbe, les oiseaux chantent comme jamais, l’herbe pousse, les bourgeons des arbres explosent de partout.
Et dans le même temps - comme dirait l’autre -, le paléolithique qui sommeillait (d’un seul œil) dans Homo sapiens le pousse à stocker : le Coréen du papier toilette, le Français des pâtes, le Nord-américain des armes. Chacun sa culture. Le migrant, le réfugié, le sans-abri, rien. Ils sont l’avant-garde d’un monde où il faudra bien réapprendre les indispensable solidarités et à serrer- d’un cran ou deux- sa ceinture. Ou crever. J’observe que cette « plaie » semble épargner, non sans une certaine ironie, bien plus les enfants que les adultes. Je me garderai bien de lui prêter des desseins conscients, mais tout se passe comme si le virus avait décidé que le moment était venu de faire le ménage dans ces générations qui ont essoré la planète jusqu’à plus soif pour laisser la place à une jeune génération dont on espère qu’elle sera plus respectueuse de son milieu de vie.
Aujourd’hui, je me sens plus proche d’un Brésilien consigné qui chante depuis son balcon que de mon Gaulois de palier qui se balade dans la rue pour narguer l’autorité. Cette mondialisation des maux sera peut-être, qui sait, à l’origine d’une mondialisation des réponses appropriées. Ce que la lutte contre les changements climatiques n’a pu réussir, peut-être qu’un virus de quelques microns y parviendra.
Demain, je rêve d’un autre monde. En attendant, vis ! Ruse !
Gérard Bastide, 20 mars 2020