Pour un premier roman, ce fut un coup de maitre puisque le livre a obtenu le grand prix de l'Académie français en 2014.
L'action se passe en nouvelle Thulé, très au nord, pas loin du cercle polaire. Icebergs, phoques, loups, population misérable.
L'époque, fin XIV° siècle, peut-être début XV°. L'action est racontée à la première personne par un abbé, inquisiteur de surcroit,
qui affrète un bateau censé apporter la parole de Dieu à ces païens de mécréants.
La forme du récit est surprenante, une plume élégante, chantournée, toute en circonlocutions, en obséquiosité, une langue baroque pleine d'afféterie.
Ces contrées nordiques n'ont rien d'une partie de plaisir : viols, amputations, incestes... Mais ce n'est que peu à peu que la véritable personnalité de l'abbé se fait jour : pervers, sadique, assassin, aussi éloigné de sa mission que
possible malgré ses formules. Il dresse des bûchers, exécute des innocents, pille, se livre à l'anthropophagie, met enceinte une jeune femme,
le tout avec un cynisme inouï. Bien sûr, l'ironie fine de l'auteur perce sous tous ces discours moralisateurs et c'est succulent de
dépister tous les clins d'oeil que l'auteur a semé dans ce terrible portrait d'un fou de Dieu.
Un court extrait :
" J'ordonnai qu'ils soient brûlés le lendemain même. Un obstacle s'opposa à mon dessein par le manque de bois : je dis qu'on utilisât du foin et de la paille, sur quoi Einar me fit comprendre qu'ils manquaient pour les bêtes et que la famine s'accroîtrait de cet usage, quelque modeste qu'il fut par la quantité. On convint donc que les deux condamnés seraient brûlés par un mélange de tourbe et d'huile de phoque, d'où une sage économie d'aliments pour les bêtes et une grande lenteur de supplice, propice à une juste expiation."