LE DEVISEMENT DU MONDE ou le livre des merveilles
Une fois de plus, c'est à un récit de voyage que je me suis attelé. Quoi de plus normal quand on est assigné à domicile ? Mais cette fois-ci, c'était un gros morceau. « Le devisement du monde » ou « le livre des merveilles » de Marco PoloDans l'édition " la Découverte " de 1980 en deux tomes. Il est présenté comme le plus ancien récit de voyage écrit en français qui propose une vue d'ensemble de la Perse, de l'Asie centrale, de l'Extrême-Orient jusqu'à l'Indonésie. Ca faisait longtemps que je voulais m'y plonger, mais on a dit tant de choses à propos de la genèse de cet ouvrage que j'y tournais autour avec une certaine méfiance.
D'abord, parce que le récit des voyages de Marco Polo n' a pas été écrit par lui-même, mais bien après son retour alors qu'il est emprisonné à Gênes et il confie le récit de ses aventures à un codétenu qui les écrit dans une langue franco-vénitienne. C'est pourquoi le récit est à la 3° personne, ce qui est un petit peu choquant pour un récit de voyage. Ensuite, parce que Marco Polo n'a pu s'empêcher d'ajouter des éléments qu'il n'a pas vus par lui-même mais qui lui ont été rapportés par de marins avec des éléments clairement fantastiques ou légendaires. Enfin, parce que Polo lui-même ne peut s'empêcher parfois d'ajouter des éléments inventés pour semer en valeur, comme le fait de se vanter d'avoir conçu des machines de guerre (des pierrières) pour aider le grand Khan à prendre une ville… alors qu'il est établi que Polo n'y était pas et que justement, c'est la toute première bataille où l'on a fait usage d'armes à feu !
Mais à part ces errements, toutes les informations que nous livre Marco Polo en bon commerçant sont exactes. Les chiffres qu'il annonce sont faramineux (23 tonnes d'or livrées en tribut au grand Khan par an ! ) mais ont été vérifiés par la suite par les historiens modernes. Il livre des détails sur l'extraction du pétrole, la fabrication de l'amiante, le rhinocéros unicorne, certaines pratiques matrimoniales qu'il n'a pu que constater par lui-même.
Enfin, le ton du récit lui-même, sans fioritures, sans détails superflus mais avec l'oeil neuf de l'occidental découvreur nous invite à partager son émerveillement. Le conteur qui sommeille en moi trouve également des tournures admirables qui relèvent de la langue parlée de l'époque et ajoutent à l'exotisme du récit. Bref, le temps de ce long voyage (720 pages), j'ai viré un quotidien viral.
Un extrait :
« Il est vrai que jadis fut en cette ville un riche et puissant roi que tout le monde aimait. Quand il vint à mourir, il commanda que sur sa tombe, c'est-à-dire sur son monument, fussent faites deux tours rondes, l'une d'or, l'autre d'argent, en telle manière comme je vous dirai : car l'une était de belles pierres, puis couvertes partout en dehors de plaques d'or épaisse d'un doigt. La tour en était si bien couverte qu'il semblait qu'elle fût d'or seulement. Elle était haute de bien dix pas, et grosse juste comme il convenait à la hauteur dont elle était. Le haut était une coupole autour de laquelle étaient tout plein de clochettes dorées qui sonnaient chaque fois que le vent passait entre elles : c'était un grand triomphe à voir et à entendre. L'autre tour, elle était d'argent, et toute semblable et en telle manière faite comme celle d'or, de la même grosseur et de la même façon, tout pareillement avec des clochettes d'argent.. »