Le temps d’un jardin de Serge Bonnery
Le pays noir où je suis né a fait mystère de son ombre. Je garde souvenir de ses odeurs quand je demeurais coi, dans l’arrière-cuisine, observant les allées et venues des femmes affairées aux fourneaux. C’étaient les jours de grande fête.
Le ciel que je contemplais de la fenêtre de ma chambre avait la profondeur de la mer.
J’aimais les soirs cotonneux de l’automne, quand la bruine dépose un voile sur la nuit.
Le temps glissait sur les vitres, en gouttelettes d’étoiles qu’un rayon de soleil absorbait.
Toute ma vie était tendue vers le Désir de retrouver la trace de tes pas dans le jardin, en friche aujourd’hui, où j’appris de toi des gestes essentiels : comment manier une pelle, une pioche, un râteau, sentir la terre entre mes doigts, la retourner.
Lorsque nous partions en promenade, je marchais derrière ta silhouette de vieil homme claudicant, Je posais mes pas dans les tiens.
La lune était encore ardente dans le jour qui ralentit sa course en été.
Je serre contre moi ce monde enfoui. J’en ai épousé les contours.
J’habite un pays noir, de silence et de deuil, dont la mémoire gît dans les garrigues, entre les cistes et les cyprès.